Dans l’article précédent, on a traité le caractère novateur de la Blockchain, ainsi que l’introduction de cette technologie dans les secteurs économiques et l’impact des réseaux P2P sur les acteurs économiques. Cette fois, et pour vous faire part des enjeux plutôt réglementaires liés à l’utilisation de la Blockchain dans les échanges des titres financiers, je vais vous transmettre fidèlement l’intervention de Mr. Corso Bavagnoli, chef du service du financement de l’économie à la direction générale Française du trésor lors de la tenue de l’audition de la comission Française des finances le mois dernier.
Des études et des tentatives doivent être faites pour construire un cadre législatif novateur en la matière puisque toute nouvelle technologie nécessite un cadre légal.
Rappelons que la question de la Blockchain est bien distincte de celle de la crypto-monnaie. En effet, Les Crypto-monnaies sont l’un des usages possibles de la Blockchain. Cette question est transverse à toute action administrative, elle a une multitude d’applications possibles, mais elle en a une notamment dans le secteur financier. Et c’est là-dessus que le trésor en collaboration étroite avec le parlement, doivent concentrer leur attention.
Il faut essayer d’appréhender ces sujets avec une double perspective: la première c’est celle des opportunités qu’offrent ces technologies dans le domaine des services financiers et l’autre est celle des enjeux réglementaires qu’elles portent, vu qu’elles sont encore nouvelles et soulèvent un certain nombre de questions.
Table Des Matières
Blockchain: Approche Française
L’approche française en matière de Blockchain ––est comme celle (plus largement) qu’ils ont essayé de développer en matière de FinTech, donc tout ce qui est nouveaux acteurs de l’intermédiation financière favorisé par l’essor des technologies–– consiste à permettre une innovation dans un cadre qui est suffisamment robuste pour répondre aux objectifs fondamentaux de la réglementation financière c’est à dire la stabilité financière ––notamment la protection des consommateurs, la lutte contre le blanchiment –– et en même temps à fournir un cadre qui permette à l’innovation de s’intégrer et se développer.
Notion De Réglementation & Notion d’Innovation
Les gens tendent souvent à opposer les deux notions: Innovation et réglementation. En réalité, elles sont tout à fait complémentaires. Ce qu’on observe en discutant avec les différents acteurs de marché, c’est qu’ils sont eux même demandeurs de clarté législative ou réglementaire. Ils demandent au fait qu’on leur dise quelles sont les règles du jeu pour pouvoir au mieux développer leurs nouveaux modèles. Donc pour mettre en œuvre sa stratégie, le gouvernement opte pour une démarche visant à rendre le cadre réglementaire évolutif et flexible. L’idée du Trésor est qu’il faut assurer une certaine neutralité technologique du droit pour faire en sorte que quand il y a de nouveaux services ou de nouvelles applications qui se développent, on s’assure qu’il n’y aura pas dans le dispositif juridique des éléments qui bloquent indûment le développement de ces technologies, tout en s’assurant évidemment que les objectifs fondamentaux ––stabilité financière, protection du consommateur et lutte contre le blanchiment d’argent–– soient bien protégés.
Blockchain: Approche Française Vs Approche Britannique
Il semble que c’est une approche qui est préférable à celle qu’on voit développer dans d’autres pays, notamment le Royaume Uni et qui s’appelle le bac à sable. Dans l’approche Britannique, vous travaillez en franchise de réglementation pendant une période donnée. On enlève toute la réglementation, vous vous déployez, et puis assez; un jour on vous réglementera en essayant de vous ramener dans le droit commun!! En réalité une telle approche ne fonctionne pas très bien, parce que d’abord elle crée l’illusion qu’il n’y a pas de règles, il peut y avoir des dangers qui se dévouent ou des risques qui se développent, des détails limités pour les acteurs, et puis surtout, l’expérience montre qu’on ne sait pas gérer la transition entre l’absence des règles et le retour à la réglementation de droit commun.
Donc L’approche Française est différente, elle consiste à ajuster en dynamique le droit, (en tout cas, proposer aux législateurs et au gouvernement d’ajuster en dynamique le droit) pour faire en sorte qu’on crée l’environnement le plus favorable au développement de ces nouvelles activités, tout en garantissant les objectifs fondamentaux de la réglementation financière.
Blockchain: Les Toutes Dernières Déclinaisons
Concernant toujours la Blockchain, il y a eu deux déclinaisons récentes en matière de services financiers, la 1ère c’est l’ordonnance en matière de financement participatif qui concerne les bons de caisse notamment l’ordonnance du 2016 qui crée les mini bons qui sont un nouvel instrument financier destiné principalement au financement des petites entreprises et pour lequel le législateur a mis en place un cadre qui permet une émission et un échange de ces bons dans le cadre d’une Blockchain.
La 2ème évolution ––et là on parle de coproduction avec le parlement, parce qu’au départ c’est une initiative du parlement–– il s’agit de l’ordonnance du 8 décembre 2017, qui permet de transférer certains titres financiers: les parts de fonds, les titres de créances négociables, les actions non cotés et les obligations non-cotées au moyen d’une Blockchain. Cet ordonnance a été publiée et entrera en vigueur l’été prochain. L’idée de cette ordonnance est de permettre pour cette catégorie de titres financiers ––et uniquement pour cette catégorie là–– un échange qui ne passe pas par une chaîne de règlement livraison, et donc un dépositaire central.
On a parlé du tiers de confiance, c’est une illustration pratique d’une situation dans laquelle on n’impose pas de passer par l’intermédiaire d’un tiers de confiance qui est le dépositaire central, dès lors que la transaction s’effectue dans une Blockchain sécurisée et conforme aux exigences que le législateur a posé.
Cette ordonnance est une 1ére en Europe, il n’y a pas d’autres pays qui déploie un cadre aussi complet. Elle permet d’expérimenter la Blockchain sur des marchés des titres qui représentent des volumes très importants ––c’est de l’ordre de 400 milliards d’euros! Et c’est une expérience qu’on souhaite partager avec nos collègues Européens pour faire en sorte qu’elle soit examinée ailleurs et reprise dans le droit communautaire.
On s’est limité à une certaine catégorie de titres, ceux qu’on a cité tout à l’heure: les non cotés, les parts de fond; parce que pour les autres catégories de titres, c’est le droit communautaire qui les encadre. Donc pour une action cotée, pour une obligation cotée, le droit communautaire impose de passer par un tiers de confiance qui est un dépositaire central.
Pour les titres sur lesquels le Trésor a travaillé, le droit communautaire été muet! Et donc on avait cette possibilité d’organiser les possibilités pour les acteurs qui le souhaitent de passer par une Blockchain.
Il faut voir que c’est à la fois un vecteur d’innovation ––du moment que ça permettra aux initiatives de se développer. C’est aussi un vecteur de sécurisation, parce que les exigences qu’on place en matière de sécurité sur la Blockchain sont sérieuses, substantielles et c’est un vecteur de professionnalisation parce que pour ces titres là aujourd’hui, les échanges sont manuelles ou sont sur des registres papier ou tout simplement sur des feuilles Excel. Donc c’est vraiment quelque chose qui exploite à fond la technologie pour faire migrer un marché qui est aujourd’hui très largement artisanale vers les formes les plus modernes d’organisations et en même temps avec un degré de sécurité qui est élevé.
Concernant les enjeux à venir, le trésor travaille avec l’AMF sur la question des jetons (tokens), les enjeux qui peuvent en matière de réglementaire et opportunité de financement pour les entreprises. Sur les “ICOs”, il y aura une consultation à l’automne et nous entendrons les conclusions ensemble avec l’autorité des marchés financiers, et sur les crypto active en général, le ministre a confié à Jean Pierre Landau, ancien sous-gouverneur de la banque de France, une mission chargée de faire un état des lieux du phénomène, d’analyser les défis posés pour les régulateurs, et les opportunités potentielles. Enfin le ministre Français des finances, le gouverneur de la banque de France, le ministre Allemand des finances et le gouverneur de la Bundesbank ont écrit conjointement au g20 il y a quelques jours, pour porter ces sujet dans les enceintes internationales parce qu’à l’évidence, ces sujets doivent être traités au plan international.